CHAPITRE IIX

Vous connaissez le code Rousseau ? Mon père a passé son permis avec, moi aussi, mon fils également. Comme le code Napoléon, il mériterait un dépoussiérage, mais l’ossature de son discours reste assez solide et cohérente. Et puis s’il évolue peu, c’est une preuve supplémentaire de l’enlisement qui fige la législation routière.
Et voici ce que dit l’édition 1996 à propos des fautes qui tuent :

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LES CONDUCTEURS

Cela paraît une évidence, et la première partie se terminait sur les gens, utilisateurs, consommateurs, ceux qui font la rumeur publique, qui votent pour qui ils croient connaître, puis pour n’importe qui une fois déçus, trop limités ou trop couards pour approfondir l’analyse de leur vécu. Que les raz de marée de la publicité ballottent vers d’improbables paradis en stuc, que les saucissons radiophoniques et les bluettes télévisées abrutissent en « libérant » du quotidien morbide. Nous avons entrevu leurs goûts culturels, les choix automobiles qui en découlent parfois. Ils ont inventé le cordon de lunettes, la jupe culotte et la casquette de base-ball, le caleçon à fleurs qu’on porte à la ville et au bureau, la pizza en vespa et le macdo en auto et le moyen d’être emmerdé par le téléphone en plein milieu du désert. Ils vont se promener en famille au centre commercial, font les recettes colossales de films brutaux ou primaires, et la fortune de chanteuses s’époumonant en play-back sur une musique issue d’un logiciel vendu au poids.
Et ils conduisent.

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FIN PROVISOIRE D’APARTE (ça me rappelle certains panneaux d’autoroute).

Voici donc le premier responsable de la mortalité routière formellement identifié et certains me reprocheront une lapalissade que j’aimerais faire passer pour un scoop. L’analyse des comportements qui le conduisent à tuer ou à se tuer me semble pourtant riche d’enseignements.
Son indigence intellectuelle en bandoulière, il est gêné aux entournures pour le cas où il, aurait décidé de s’informer vraiment. Il est dangereux dès qu’il ouvre la porte de son véhicule car il a remplacé naturellement et inconsciemment la phase d’apprentissage nécessaire en tout par sa capacité humaine à tout savoir. Le savoir par la présomption du savoir. L’expression est d’un sociologue canadien, Lucien Morin qui avait inventé pour la raccourcir « l’opinionite » et qu’il tenait pour un mal majeur du siècle (P.U.F.)
Cet assassin ordinaire, ce meurtrier anodin qui n’enlève pas les petites filles mais qui est capable d’en rayer 50 de la carte s’il conduit le car du pensionnat.
Son atout essentiel pour la survie dans la circulation, c’est les sens de perception que la nature lui a donnés.
On peut conduire sans goût, le parc automobile le prouve, avec un odorat altéré, les « arbres magiques » l’attestent, avec une ouie affaiblie, la bande FM le démontre, mais on ne peut pas conduire sans voir, même la Prévention Routière avait eu cette rare lueur pour sa campagne : « Au volant la vue c’est la vie ».

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Découverte d’importance, l’action de conduire se rapporte plus à la faculté d’adaptation que directement aux cinq sens isolément.
Aphorisme en découlant : Pour bien conduire, il faut être intelligent. puis posséder quelques rudiments de culture. Les plus grands pilotes ont reçu en sus l’adresse, cerise sur le gâteau.
Pas étonnant dans ces conditions que l’automobile soit à une écrasante majorité, mal conduite.

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Un artisan de la plaque minéralogique aluminium qui officiait rue Lecourbe, m’avait suggéré que l’obligation en était due à l’hégémonie commerciale que Minnesota, leader mondial des surfaces réfléchissantes avait réussi à imposer aux états, et si l’on rapproche cette anecdote des théories de Konrad Lorenz, on entrevoit l’ébauche d’une explication.
Pour rester dans le champ de vision essentiel du conducteur, il se trouve toujours des inventeurs rêvant des lauriers du concours Lépine pour découvrir « mieux » que les bureaux d’études eux-mêmes. On voit alors fleurir dans les publications les plus populaires des rétroviseurs panoramiques qui « augmentent considérablement le champ de vision » permettant notamment, je cite la pub’ « de surveiller les enfants qui se chamaillent sur la banquette arrière », bonjour l’ambiance dans l’auto et l’attention indispensable à la conduite qui en découle..et qui sont souvent simplement agrafés sur le rétroviseur d’origine, bonjour les vibrations. Mais Ford ne vient il pas sur une de ses dernières petites nouveautés de proposer une caméra de genre webcam pour précisément surveiller les enfants à l’arrière.
Passons rapidement sur les divers pare soleil ventousés sur les surfaces vitrées et sur les innombrables pendentifs accrochés aux rétros ou ailleurs, aux plages arrières qui servent d’étagères..
Tous les ustensiles passés en revue n’ont en fait qu’une unique finalité, altérer la vision nécessaire à la survie au volant et ces comportements a priori bénins devraient être bannis. Quant à la fantaisie dans l’ergonomie dès la conception du véhicule, comment l’expliquer autrement que par celle de ce monument de grossièreté administrative qu’est la DRIRE, plus connue par les professionnels sous le nom de Mines et dont les redoutables ingénieurs ignorent parfois qu’une 911 est dotée d’un double circuit de freinage.ou qu’un moteur D24 Volvo est en fait un Vokswagen..

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Deuxième cause : inadaptation aux commandes :

Imagine-t-on un capitaine au long cours ignorant son gouvernail ou un commandant de bord bafouillant sa check list ?
Le conducteur d’une auto n’a pourtant lui, qu’une conscience très vague en général de ce qui manœuvre son mobile. D’abord sa position de conduite et avant cela, la fermeté de l’assise et l’ergonomie de son siège.

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Avant d’en arriver là, tout le monde a déjà constaté que la plupart des accidents graves se situent au bout d’une longue trace de freinage, qui atteste que le conducteur ne savait pas freiner. Des écoles (de pilotage) enseignent le freinage d’urgence, qui permet l’évitement sans bloquer les roues, ou le freinage en appui qui évite lui de laisser l’auto partir en dérive incontrôlable. L’invention de dispositifs comme l’ABS ou L’ ESP est née du besoin de pallier l’incurie de l’homme au volant.
Je pourrais pousser le raisonnement très loin, car un moteur mal soigné qui carbure mal, qui ne donne pas la puissance voulue au bon moment, est aussi un facteur d’accident, comme des pneus sous gonflés ou des amortisseurs fatigués (non contrôlés dans le cadre du contrôle technique actuel à cause d’une disparité dans le raisonnement du lobby des constructeurs français(30.) mais je tiens également pour une cause d’accident « inexplicable » le maniement hasardeux d’une boîte de vitesse, qui empêche d’utiliser les ressources du moteur de manière optimale et de garder tout le contrôle de la machine. A l’heure où le moins cher des VTT possède 21 vitesses, avez-vous déjà essayé de faire comprendre à un béotien, ou à une femme, le principe du braquet ?

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Fumer ou conduire, il faut choisir :
A part conduire, que peut on donc faire derrière un volant ? A peu près tout. Deux articles sous mes yeux relatent des expositions de sonorisation pour automobiles. Je suis formel : Ni Glenn Gould servant Bach ni même Ramstein n’on besoin d’une surabondance de décibels et surtout, il est d’une importance capitale d’entendre le bruit de son moteur, si feutré soit il. Et il est significatif qu’à chaque fois qu’un benêt régale la cantonade , vitres grandes ouvertes, de sa « musique », il ne s’agit en réalité que de bruit techno produit par des boîtes à rythme. Il existe une option sur la Porsche 911 de 1996 consistant en une amplification acoustique dans l’habitacle du son divin du flat-six devenu moins audible au fur et à mesure que les matériaux phonoabsorbants se bonifiaient. Cet accessoire fera ricaner certains, un peu limités bien sûr car l’absence de la mélodie distillée par ce moteur divin nuisait à la compréhension du pilotage de l’auto.
Je crois que c’est dans « la plus grande pente », un autre roman de Georges Arnaud, qu’est contée l’anecdote de ce chauffeur de taxi des tropiques, conduisant une guimbarde déglinguée à tombeau ouvert avec une radio tonitruante. « Un jour, sa radio tomba en panne. Il rata le virage et se tua ». Difficile de faire plus sobre et plus clair dans l’observation des réflexes conditionnés.

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L’origine de ces comportements préjudiciables est née de la seule chasse faite aux conducteurs rapides au détriment de tout le reste. Et c’est ce reste qui tue. Je pique à l’instant dans l’ « Entreprise » de Juillet 97 cette innovation de AB Soft pour « transformer votre voiture en bureau » 1380 frs hors taxes. Se tuer à ce prix là, c’est donné.
La belle formule consacrée affichée dans le voisinage immédiat d’un conducteur de transport en commun est « Défense de parler au conducteur ». La technologie a rendu les voitures très faciles (trop) à conduire. Certains conducteurs pas bien malins en déduisent une attitude de décontraction outrancière, fument en téléphonant, effleurent juste la jante du volant, laissent pendre la main ou le bras gauche, confondent l’accoudoir avec le bord de la vitre (gestuellement, cela les rend plus grands, plus droits, plus dominants). Le syndrome du coude ou du bras entier est très répandu et destiné à communiquer au monde entier qu’il surfe sur la vague et que deux mains pour conduire, c’est beaucoup trop, que là il se promène, mais que s’il le décide il peut se transformer en Vatanen dans l’instant. Les femmes entre elles n’ont rien à prouver de la sorte, alors elles papotent avec la passagère, où les deux sur le siége arrière, elles tournent la tête, font des mimiques et des grands gestes des deux mains…
Je reviendrai sur les carences du système pédagogique qui sont structurelles et politiques.
Nous avons vu que Gérondeau recommandait de transformer son auto en salle de concert et de s’entretenir avec ses passagers !