CHAPITRE XI

Les causes accessoires et néanmoins profondes.

LE RESEAU :

« Qui n’a pas vu la route à l’aube entre ses deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance »
Georges Bernanos

Dans son petit bouquin publié vers 1960, Trintignant nous éclairait déjà sur la spoliation dont étaient victimes les automobilistes et il donnait un chiffre : pour 150 voitures supplémentaires à Paris, on comptait un mètre de chaussée en plus. J’ai dit qu’un misérable 1% des taxes payées par les usagers était affecté au réseau (0,62% en 1985, combien en 2002 ?).
Une étude du « Point » du 8 Juillet 90 consacrée exclusivement au danger poids lourds relate 50% d’accidents qu’ils provoquent dus à un « défaut d’infrastructure routière » très loin devant la vitesse fourre tout qui bien que non différentiée d’avec l’excès ne fait qu’un médiocre 20 %.
Le numéro de Juin….1956 de « l’Alsace Automobile » fait de l’ironie en publiant de ces photos de coupe-gorge bien connus des automobilistes sous le titre interrogateur : « Où en est le plus beau réseau du monde ? » ce qui atteste que les gens qui faisaient la sécurité routière à cette époque étaient déjà constitués de ces deux chapelles principales : celle des imbéciles et celle des véreux.

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Mais le problème est tellement réel qu’i « interpelle » les élus qui sur le champ des opérations se réunissent pour de fumeuses séances de brain storming avec la DDE, et la solution jaillit, après que soit néanmoins recueilli l’avis d’un gendarme qui mit les plaideurs d’accord en claironnant que c’était la faute des automobilistes qui roulaient trop vite. Comme disait Goethe, « le tout n’est pas d’y penser, mais d’y penser souvent ».

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Le Canard Enchaîné ne manque jamais de remettre les pendules à l’heure et je loue son objectivité. Un article fouillé du « Point » révèle une enquête sérieuse dans son numéro 666 de 85 qui mentionne 800 points noirs formellement identifiés à ce moment là, sans y avoir inclus les départementales ou les points noirs institutionnels que sont, par exemple, les monstrueuses routes à trois voies. Il suggère une explication en révélant que le budget consacré au réseau est passé de 2,28% en 73 à moins de 0,62% en 85.
C’est au passage Libération et le Républicain Lorrain qui me surprendront, le premier en relatant un accident d’autocar dans les Landes, responsable de 8 morts et 24 blessés. Ce jour là, 15 Août 97, Libé oublie sa vindicte contre la vitesse en décrivant cette RN 10 surnommée depuis 20 ans « le tombeau des Portugais », ayant l’apparence d’une autoroute longue de 90 kms mais coupée de 35 routes et 40 chemins privés sans rond points et sans ponts (certaines communes en ont tellement d’inutiles que le journal aurait pu faire un appel à la solidarité). Le R.L.

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La fabrication de points noirs :

Frustration pour nos ingénieurs des Ponts, le réseau autoroutier est en général au point, ils n’y touchent donc pas, sauf quand le mal est trop grave, alors ils plantent des panneaux. Les exemples abondent, mais un Nancy- Metz- Thionville et retour est une pépinière pour les railleurs. A l’autre bout de la lorgnette, le réseau que je pourrais appeler sous- secondaire des routes que ne prenait jamais Jean Yanne, les départementales. A part le nouvellement promu qui ne peut s’empêcher de peinturlurer, ils n’y touchent pas non plus, et je ne m’en plaindrai pas car si l’on accepte les traversées de village –que tout pilote aborde précautionneusement- qui cassent l’allure, on peut encore avec une bonne auto soutenir des moyennes étonnantes et ces routes sont l’arbre généalogique de la France , elles sont la France, et une mine d’or pour celui qui cherche l’insolite, ou seulement une parcelle de mémoire, les seules voies à ne pas désespérer le photographe .
Reste le réseau secondaire officiel, celui qui permet encore certaines dérives sous couvert d’aménagement. On s’épuiserait là à lister des courbes sans doutes jolies sur le papier, mais incohérentes rapportées à un mouvement logique de braquage, on a vu qu’on pouvait par ailleurs élargir des virages sans toucher à leur rayon ou à leur pente, ou construire un pont en pleine nature parce qu’on s’est trompé (38).

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Dans la rubrique de la fabrication des points noirs, il y a bien évidemment les travaux et nous allons retrouver avec plaisir les professeurs Nimbus de la règle à calcul.

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L’incurie méprisante de l’Equipement n’est pas seulement une offense à la culture et la bonne volonté, elle est criminelle, mais l’impunité de ces gens là, comparable à celle des gendarmes, leur permet tout : Les cons osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît aurait dit Audiard dans les « tontons flingueurs ». Mai 97. Je me trouve contraint en entrée et sortie d’un bled déjà pénible à un slalom fastidieux autant qu’incongru. Des aménagements dit de sécurité faisaient des chicanes qui rendaient l’abord encore plus dangereux. La DDE s’en vantait par le biais de panneaux immenses annonçant : « Attention, simulation de travaux ». Vous avez bien lu, et je suis certain qu’il existe au moins une chose que ces gaillards n’ont pas besoin de simuler.

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Mais, c’est vrai que l’usager n’est en général pas raisonnable, il est même pire.
Le lundi 3 Août 98, première page titre : Pluie : 25 accidents en 36 heures dans les Vosges( !)

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L’AMALGAME ROUTIER

« La route appartient à tout le monde, c’est malheureux, mais c’est comme cela ! »
Samuel Beckett (en attendant Godot)

J’ai évoqué plus haut à propos du danger représenté par l’uniformisation de la vitesse le côté scabreux du mélange des genres sur la route. Certaines liaisons entre communes peuvent parfois se faire par une variété de chemins, pour les 20 kilomètres qui séparent mon domicile de mon bureau, j’ai le luxe de 5 trajets différents. C’est vrai que rares sont les usagers qui apprécient à sa juste valeur ce privilège, confinés qu’ils sont dans leurs habitudes indécrottables, et qu’ils font d’ordinaire le même trajet, pendant 20 ans, en partant et rentrant aux mêmes heures. Mais pourquoi trouve –t-on sur ces voies des écoliers qui vont rejoindre l’arrêt de bus, des bus, des camions de livraison, de chantier, des vélos, des autos, des engins agricoles, etc…

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Le danger urbain

Il faut le citer car je pense qu’il y a à Paris un peu plus de 100 morts par an et que Colmar est en tête en Alsace. La ville est le théâtre aussi de quelques sorties de bringue qu’elle complique de décorations municipales en bois dur ou en béton. L’amalgame y a aussi sa responsabilité, entre les bus subventionnés, encombrants et parfois vides et les boosters sans identification, sans échappement et sans casque. C’est en ville que les piétons et les cyclistes se font renverser.
A Strasbourg, Noël 96, une cycliste, déséquilibrée par un booster, meurt écrasée par un camion grue…Banal. Cela se passait dans une zone …piétonne.

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La Limitation de Vitesse :

On comprendra mieux au chapitre des remèdes à la mortalité routière la connotation positive que peut avoir la vitesse en tant qu’élément dynamique. La vie c’est le mouvement, et tout mouvement contrarié débouche sur une anomalie. Chaque frustration exige une décharge.
Toute liberté corsetée déborde. Chaque individu est unique et réagit à un stimulus ou une finalité donnés d’une manière qui lui est propre, même si la résolution aboutit à une conclusion structurellement voisine.
Il est donc inhumain, absurde, antinaturel de limiter « les conducteurs » entité voulue sans tête par le pouvoir législatif et qu’on pourrait dénommer aussi la masse, le troupeau, valeur statistique sans valeur autre que commerciale ou pécuniaire.

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La limitation de vitesse est sûrement la cause principale des morts sur autoroutes.
La limitation sur la route ne sauve personne, mais elle tue en masse.