CHAPITRE V

BIG BROTHER & CO

« Une image vaut cent mille mots »
proverbe asiate

Le journal propose un article. Vous pouvez fulminer, ce qui est écrit subsiste.
La télévision, grande entreprise d’endoctrinement collectif, exécrable en ceci qu’elle s’attaque en priorité aux esprits faibles et aux enfants en âge d’empreinte, pouvait prétendre révolutionner le système en proposant des débats : des « contre » allaient pouvoir s’opposer aux béni-oui-oui de toute obédience. Las, d’un outil capable de programmer un film culte toutes les éclipses à 0 heure 55, remplaçant en quelque sorte l’Assommoir, que pouvait on attendre ? Obéissant aux mêmes intérêts que l’ensemble de la presse , elle ne proposa en fait que de faux débats avec questions et réponses préparées d’avance, organisés par des meneurs de jeu chargé de contenir les dérives, afin qu’aucune idée originale ne vienne compromettre une conclusion attendue et rédigée d’avance.
Je n’ai jamais regardé la télévision –je n’en possède d’ailleurs pas- que par hasard ou « accident » Je fis bien quelques exceptions quand j’apprenais la venue d’un « débat » ayant pour objet la sécurité routière.
Le premier que je me rappelle était précédé de la projection du film « Week-end » de Jean Luc Godard. Le pire était à craindre de la part de gens capables de mélanger le génie iconoclaste d’un cinéaste visionnaire et la cavalcade de bouffons qui allait suivre.
Aucun expert en la matière sur le plateau. Pour montrer que l’on s’intéresse aux manants, il y a le standard téléphonique et son filtre magique mais qui encourage la vox populi de cet artisan qui crie « au fou » parce qu’on le double à droite, ce qui serait manifestement impossible s’il y roulait lui-même.
Le gendarme de service est joué par le capitaine Duchemin qui veut « changer la mentalité » des « mauvais conducteurs » car, remarque-t-il, « on arrête encore des gens qui roulent à 180 ».

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Got encouragé nous refait l’apologie de la deux chevaux « bien plus intelligente que ces engins qui dépassent les possibilités. » (les siennes sûrement)

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Jurgensen se déchaîne, nous rappelle par son comportement l’étymologie d’hystérie, en appelle à la curée, au lynchage. Lama veut vendre des disques, donc se rendre sympathique au plus grand nombre en utilisant des formules qui ratissent large : « l’auto est un tas de ferraille qui doit aller d’un point à un autre » dit il. Tout faux, un authentique tas de ferraille n’irait pas bien loin.
Effleuré tout même par la vanité et la vacuité du débat, l’animateur laisse échapper : « on a l’impression de faire le même débat sans avancer beaucoup ». Je confirme qu’il ne s’agit pas d’une impression et que cela dure en gros depuis le Paris-Madrid de 1903.
Pour (en) finir, Got jettera l’anathème sur « l’arrogance des conducteurs de Mercedes et BMW , il cite les marques, avant qu’en sa qualité de délégué à l’insécurité routière, Mayet ne conclue cette pitoyable farce par ces mots : « Nous ne savons rien de plus ». Il aurait pu à ce moment là, comme son prédécesseur, écrire un livre, puisqu’il en avait trouvé le titre…

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Mr de Closets n’est ni journaliste, ni écrivain, c’est un petit flic refoulé. Il ajoutait de la complaisance à son ignorance hautaine en précisant qu’il adhérait plus volontiers à la détresse de Mme Jurgensen qu’au plaisir de rouler à 130, parachevant ainsi la démonstration d’iniquité et de nullité du « débat » car si l’on peut trouver du plaisir et même de la jouissance à maîtriser un mobile dans une épingle négociée à 50, il n’existe aucun plaisir à rouler à 130 dans l’absolu.
Cette chose intitulée « Médiations » faisait 14% d’audience sur TF1 un jour où la 2 et FR3 étaient en grève. Le canard qui offrait sa quadrichromie à de Closets était Auto-Plus, tout le monde avait deviné.
L’insipide opération « drapeau blanc » servit de prétexte à un autre dossier le 17 Avril 90 menée par le « gentil » Leconte qui revendique après 1 heure d’émission « 23 vies humaines sauvées ». C’est pas Byzance, c’est Lourdes.

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7 sur 7, c’était un peu cela. Mise en scène d’une rigueur janséniste, finalité louable d’objectivité, dans une époque ou l’on confond Candide et ignare. La procédure elle même semblait garantir le but puisqu’on interrogeait l’invité sur les événements du jour, donc à chaud. Anne Sinclair, en deçà de la vamp ostentatoire dardait un regard franc et clair. Convaincante en mater (de bonne) familias. Le choix des invités recouvrait une palette qualitativement exhaustive devait réussir l’exploit d’attirer vers la télé ceux qui paraissaient avoir assez de jugeote pour la mépriser dans son ensemble. De l’autre côté du miroir, on se battait pour accéder. Ah la fascination des planches de ces comédiens qui n’ont rien à prouver mais veulent quand même monter Shakespeare…En réalité je me demande ce qu’il faut attendre de l’avis culinaire d’un mécanicien, d’un ingénieur béton sur la conduite d’un orchestre, d’une greluche ex mannequin sur la stratégie propre à réconcilier Ismaël et Israël, ou du pape sur le Grand Prix de Monaco. Et le principe de cette émission, qui n’était pas des pires, c’était cela. Parce si Anne Sinclair avait invité Norbert Dugenou, moniteur de pilotage à Moussillon-les-Indret, à venir exposer les principes de base d’une conduite sûre, elle aurait fait zéro d’indice, et ça, coco, c’est pas bien.
Bouygues avait acheté TF1 en revendiquant avec cynisme que la télé était l’instrument de pouvoir absolu « l’arme atomique ».