CHAPITRE IV

La Basse cour

Le cas le plus tangible sinon le plus intéressant est celui de la presse que je diviserai en deux, car si la télévision a, plus sûrement que Big Brother, investi les foyers, il serait hâtif d’enterrer les journaux. Eh oui, le canard est toujours vivant.

« Tout ceci est vrai, la preuve, c’est écrit dans le journal »
(Petite chronique impertinente de Jacques Potherat in La Vie de l’Auto)

ou bien

« Il ne manquait plus à la basse cour que les canards, et voilà l’Aurore qu’arrive avec le Figaro »
argot savoureux chanté par Boris Vian (tango interminable des perceurs de coffre forts)

N’était-ce pas Lazareff qui définissait le bon journaliste comme le plus prompt à annoncer une nouvelle, fût elle fausse, à condition d’être le premier à la démentir ensuite ? L’Opinion n’a pas de mémoire, elle a soif de sensationnel et de nouveau, même si ce sensationnel n’a bien souvent de nouveau que la date du calendrier.

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« La vitesse en crise » 5 colonnes à la une
« La vitesse dans le rétroviseur » 5 colonnes à la 2
« Paris : 151modèles à plus de 200 km/h » 5 colonnes à la 3
« Alain Prost : maîtriser la vitesse comme un film au ralenti » 5 colonnes à la 4
Libération du 28 Septembre 1988 se paie ainsi dix pages du même tonneau à l’occasion du salon de l’auto rebaptisé « Mondial », comme le foot, c’est plus vendeur.
C’est carrément de la névrose d’angoisse (ça se soigne).
Les seules lueurs d’intelligence et de connaissance, perdues dans le magma sont du directeur commercial de Renault, Paul Percie du Sert : « La vitesse n’est que la résultante d’un ensemble de prestations qui concourent à la sécurité », de Calvet (PSA) : « l’accélération, c’est la survie » ou d’Agnelli, patron de la FIAT : « Limiter la vitesse est archaïque et anti industriel ». Encore Libération n’avait pas pris le risque de se rendre (encore plus) ridicule en interrogeant les responsables de fabrication des meilleures voitures du monde, les allemandes… J’imagine la réaction d’un Ferdinand Piëch, pragmatique et sans doute injoignable pour des éditorialistes de ce tonneau là.

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Et quand ils ne passent pas la brosse à reluire sur les pompes en croco des élus ou les leggins des militaires, il se trouvera un éditorialiste inquiet qu’on ait pas parlé de la vitesse depuis une semaine et qui remettra un peu d’huile sur le feu.

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14 Avril 96. 5 morts et un blessé léger en pleine agglomération : « Vitesse excessive et refus de priorité sont les causes… » S’il y a refus de priorité, on peut admettre que la vitesse en aggrave les conséquences, mais supprimez la cause et vous supprimez les conséquences. Le bilan très lourd mérite néanmoins une analyse plus approfondie.